lundi 28 juillet 2008

Goodbye Stranger

Si il est un endroit du Maroc qui n’est pas [trop] dépaysant, c’est bien la route. Bizarre allez vous me dire, après tout ce que j’ai raconté sur mes mésaventures de l’autoroute, le bazar permanent des grandes avenues de Casa, ou le danger qui surgit à chaque coin de rue sous la forme d’un taxi fou ou d’un scooter suicidaire… Et pourtant, c’est généralement sur la route qu’on se rend compte qu’au final, l’Europe, et la France, ne sont pas si loin. Il suffit de compter le nombre de plaques d’immatriculations françaises, espagnoles ou italiennes que l’on croise au péage, le long de la plage, au feu rouge. Les français sont partout, et sont visibles. Quand je dis français, je devrais plutôt dire français d’origine marocaine, car c’est bien d’eux dont il s’agit, les touristes n’ayant pas de racines au Maroc préférant l’avion. D’où une interrogation persistante : comment ces franco-marocains, si facilement reconnaissables ( à leur plaque d’immatriculation mais pas seulement ), sont ils perçus ici ?

Si j’avais pu prévoir la violence de la réponse, je me serais bien gardé de la poser. J’avais déjà remarqué, à l’aéroport notamment, à quel point le regard porté sur ces marocains de l’étranger ( les fameux « MRE » ), était teinté de curiosité, d’incompréhension et de méfiance. Mais à ce point, je ne l’aurais jamais imaginé. J’en ai pris conscience pour la première fois à la cantine, quand un gars très sympa s’est mis à discuter avec moi, de tout et de rien, et notamment de la manière dont sont perçus les émigrés. Fils d’un chauffeur de taxi, dont tous les frères et sœur ont réussi dans la vie, lui travaillant dans une banque, on ne peut donc pas l’accuser de jalousie. Il n’attaque pas les marocains partis en France pour travailler ( les premiers, dans les années 50 et 60 ), mais leurs enfants, qui « n’ont jamais fait l’effort de s’intégrer là bas et qui reviennent ici en été pour étaler leur argent ». Et ça, c’est pour le plus soft. Il m’explique que les émigrés « de la troisième génération » n’ont plus aucun lien avec le Maroc, et que dans quelques années, ils ne pourront plus revenir parce qu’ils ne connaitront plus personne, ni les amis, ni les voisins, en plus ils ne parlent même pas un « vrai » arabe. Je réalise à ce moment là que les franco-marocains peinent encore plus à faire leur place ici, qu’en France. Il est tout à fait au courant que les conditions de vie « dans [nos] banlieues sont difficiles, mais pas plus que dans les bidonvilles qu’ici : ils ont tout ce qui leur faut, de l’argent, des voitures, l’école, et n’en sont pas reconnaissants. C’est honteux qu’ils sifflent la Marseillaise, c’est leur hymne quand même ! ». La fin de la conversation est encore plus explicite : il me dit très clairement que ce sont tous des « voleurs » et des « fumeurs de shit » qui viennent dépenser l’argent de la drogue pendant l’été « comme si c’était des rois »…
Bon, peut être qu’il y va un peu fort… Le problème, c’est que tout le monde y va un peu fort ! On passe très vite du statut de MRE, à celui d’étranger, et quand on est immatriculé en France, il vaut mieux ne pas caler au feu rouge ! Je profite d’une discussion avec Amine, un copain de Anass qui vient du lycée Français d’Agadir, pour confirmer, ou infirmer ( soyons optimistes ! ), cette impression. « C’est des racailles, ils ne foutent rien de leur journée dans leurs cités et se la ramènent quand ils rentrent ici, mais ils devraient avoir honte de leur condition ». Pas sur qu’il n’y ait pas un peu de mauvaise foi là dedans, mais en tous cas ça a le mérite d’être clair. Anass me dit plus ou moins la même chose : « T’imagine, ils roulent en BM et traitent les marocains comme de la merde, alors qu’en France ils sont quoi au mieux, éboueurs, un truc comme ça ? ». Et là je dois dire qu’il y a un peu de vrai dans le milieu de sa phrase : la manière dont les jeunes en particulier, considèrent les épiciers, les gardiens de voitures, les filles, est complètement incroyable. C’est au mieux, condescendant, au pire, ultra violent, comme ce week-end sur la plage, ou un gars ( français ), a foutu un pain à un vendeur de glace parce qu’il ne s’était pas arrêté pour lui en vendre…Le pire, c’est qu’on ne peut pas soupçonner tous ces marocains, plutôt voire ultra favorisés, d’une quelconque rancœur, ou d’une quelconque jalousie. Imaginez alors ce qu’en pensent ceux qui font la manche au feu rouge, ce qui n’ont jamais mis les pieds dans un lycée français, et qui ne voient pas d’autre horizon que le détroit de Gibraltar ? Difficilement tenable comme situation. Pas besoin de réfléchir longtemps pour se rendre compte que dans l’histoire, tout le monde est perdant, ceux qui font la manche au feu rouge, comme ceux qui n’ont leur place ni en France, ni ici, mais dont les premiers aimeraient bien prendre la place. Du coup, quand je vois une voiture française au feu rouge, je leur fais un sourire, c’est sur qu’ils en aient beaucoup sur la route…