Charia oblige, les rues du centre de Casablanca ne sont pas jonchées de bars ou de pubs à la mode. A peine quelques brasseries clandestines du coté de la Medina, et quelque épiceries, qui vendent de l’alcool dissimulé derrière des barils de lessive. Le quartier branché, est à quelques kilomètres d’ici, sur ce qu’on appelle la corniche, la route qui paradoxalement, mène à la plus grande mosquée d’Afrique… Quand je dis quartier branché, ça veut dire en réalité quartier fréquenté exclusivement pas les X5 et les Q7, et où vont se défouler les jeunes marocains [très] aisés, en manque de house, de vodka et de filles ( et quand je dis en manque, ça veut bien dire ce que ça veut dire ! ). C’est beau, ça clignote, ça klaxonne, mais c’est donc pas forcement l’endroit où on passe un bon moment, tranquillement avec des amis.
Pour ça, il existe une autre adresse, devenue mythique ( en tous cas pour moi ), et qui fait parti, de loin, de mes endroits préférés de Casa. Charia oblige donc, ce n’est pas marocain, mais espagnol : la Bodega, juste derrière le Golden Tulipe ( l’hôtel qui a explosé en 2003 ). On a beau ne pas être sur la corniche, l’endroit est sensible, et la présence policière renforcée. Ca n’empêche qu’il reste un endroit super sympa, où on peut manger un morceau, boire un verre ou danser un peu ( un peu, car ils ne passent pas les Daft Punk).
Le resto, à lui tout seul, vaut le détour : il n’est franchement pas « onéreux », et sert des trucs que je n’ai jamais mangé ( mais qui dans la plupart des cas, ne sont pas marocains ). J’opte généralement pour les croquettes de poulet, et me gave d’olives et de pain avant même d’être assis. L’ambiance est un peu tamisée, et dans les 4 coins de la pièce, des écrans plats passent en boucle des images un peu psychédéliques qui aident à la digestion, et auxquels on reste généralement scotchés. Ca ne parle que français, espagnol ou anglais, et dans la plupart des cas, les gens sont cools.
Vendredi soir par exemple, je suis tombé sur un gars juste à coté de moi que j’entendais parler anglais. Dans l’espoir d’établir le contact avec un sujet de Sa Majesté, je lui lance un « hi », mélange de « salut-bienvenu-ahh, t’es anglais-j’aime bien l’Angleterre » (évidemment, je me suis assuré avant que mon « hi » ne pouvait pas être interprété autrement). Manque de bol, le gars me répond en français ( normal, il est français ), et m’explique qu’il travaille dans l’aviation d’affaire et que son collègue ( qui à l’air d’un californien qui revient de la plage ), est italien. Ils reviennent de Beytouth, et repartent en Russie le lendemain, ça à l’air assez cool comme métier, surtout quand ta boite te paye les 3 cocktails que tu es en train de siroter… On discute quelques minutes, puis je lui demande qui il transporte en général, dans ses avions dont il me fait comprendre que je ne verrai jamais la couleur, même en rêve… « Ahh ben ça dépend, des acteurs, des industriels… ». « Des politiques ? » ( je vais peut être dénicher le nouveau scandale politico financier de l’année, la question d’après étant « qui paye les billets d’avion ? » ). Et là, le gars me répond, sans broncher, sans même un petit sourire en coin que je n’aurais pas pu cacher, « Oui, Tony Blair ». Tony Blair ! La grande classe, ce mec a eu entre les mains la vie de l’homme que je vénère autant que les marocains vénèrent le roi… Bodega c’était bien, à cet instant précis, ça devient extraordinaire.
Ce gars en question n’y est pas la seule attraction : j’ai parlé du resto au rez-de-chaussée, mais pas du bar au sous sol, dont le plafond est tapissé de drapeaux, et les murs d’affiches de concert ( on dirait ma chambre..). La musique y est vraiment pas mal ( j’ai envie de dire que quand on écoute radio2M toute la journée, tout devient vraiment pas mal, mais là, c’est VRAIMENT pas mal ), en particulier le jeudi soir où ils ne passent qu’une seule fois Magic System. Oui, c’est l’autre inconvénient de la musique au Maroc : quand on aime bien quelque chose, on le repasse jusqu’à s’en lasser, et des fois ça vient très vite ! Il y a principalement deux radio musicales au Maroc : HitRadio (« Numéro 1 au Maroc ) et Radio2M (« Numéro 1 au Maroc pour les hits », la différence est très subtile mais elle existe ! ), dont les programmations sont exactement les mêmes à 6 minutes d’intervalle. Magic System succède à Laurent Wolf, qui succède à David Vandetta (pis de sol-férino-pharyngite…… ;) ), qui succède à la pub, qui succède à Magic System…
Ce qu’il y a d’original à Bodega, c’est qu’en plus de la musique, un gars joue du tam tam, et la rend du coup un peu plus exotique. C’est parfois assez bluffant, et souvent original. Et même que pour 30 dh, il vient jouer à côté de votre table ! Enfin une table, quand on arrive à en trouver une, parce que du mercredi au vendredi, le gars au tam-tam fait tellement fureur, que même l’entrée est une épreuve. Une fois à l’intérieur, il faut se frayer un chemin dans l’escalier qui mène au sous sol, en bas duquel des serveurs vous attendent avec de petits palm pour prendre la commande, un peu comme au Starbucks ! Je n’y passe pas ma vie, mais on y est allé assez souvent pour que le même serveur ( Nouredine en l’occurrence ), se précipite vers nous pour nous demander ce qu’on veut. Même quand on ne veut rien…
Bodega, c’est donc plus cool, moins décomplexé, moins exubérant que la corniche. Ca n’empêche qu’on peut y croiser des spécimens assez intéressants, parmi lesquels des clubbers parisiens qui n’ont pas compris qu’au Maroc, c’est pas la peine de faire d’UV , ou des gars un peu coincés qui se sont sentis obligés de sortir leur plus belle cravate.
Parlons un peu des clubbers parisiens, eux valent le détour ! C’était un mardi, et ils avaient consciencieusement choisi leur jour pour venir : le plus chaud de la semaine, en se disant qu’après une journée de plage, rien de mieux qu’une soirée dans un bar à la mode. Ils auraient aimé que la musique s’arrête à leur descente des marches, mais on est pas à Cannes. Du coup il faut frapper vite et fort : en 4 minutes, le dancefloor est monopolisé, la sangria qu’ils se sont fait offerte au bar s’invite sur les chemises des gens qui ont eu le malheur de s’approcher trop près. Bien sur, elle épargne leur slim noir, et leur chemise blanche ouverte jusqu’au 4ème bouton, simple histoire de dosage ! Mais ça, c’est le début. La suite c’est de l’impro totale, pour le plus grand bonheur de ceux qui vont devoir laver leurs T shirt au Tide ce soir : au bout d’un quart d’heure de chorée enflammée, la température s’élève, dangereusement. Des goutes commencent à perler sur leurs visages, Menen™ ne fait plus effet, Ben et Steven n’en peuvent plus, ils sont trempés. Survient la scène la plus drôle de la soirée : ne pouvant pas s’essuyer avec leurs chemises, ils demandent des serviettes au serveur et commencent à s’éponger le visage, toujours en plein milieu de la piste de danse. Comme ce n’est pas suffisant ( sans blagues ! ), ils ont une idée lumineuse, utiliser la serviette qui entoure une bouteille de vin posée à deux tables de là. Discrètement, ils se décalent vers la droite, et s’essuient comme si ils sortaient de la douche. C’était sans compter sur les propriétaires de ladite bouteille, qui n’apprécient pas trop que deux gars tout transpirants viennent s’éponger les cheveux à 30 cm d’eux. Humiliés, Ben et Steven leur rendent, et s’en vont en se faisant traiter de porcs… Et ici, croyez moi, se faire traiter de porc, c’est pas la classe !